La route est longue avant d'arriver dans le Sud du Tolima, un voyage qui est la meilleure façon de prendre la mesure de cette immense région. S'il fallait trouver un mot pour décrire les chemins que les Indiens, les Afrodescendants et les paysans ont construit tout au long de leur histoire, je dirais sans hésitation : grandeur.
Un territoire d'une grande richesse naturelle, culturelle et sociale, que ses paysages, ses saveurs, ses odeurs, surgissant d'entre les montagnes, nous permettent d’apprécier mais qui, paradoxalement, est plongé dans la pauvreté et la corruption, abandonné par l'État et par les investisseurs. Voilà une des grandes contradictions que nous ont léguées les élites libérales et conservatrices, mais aujourd'hui, avec le temps, cette contradiction s'est aiguisée et la classe politique traditionnelle en porte la responsabilité.
En effet, les luttes politiques du XIXème et du XXème siècle[1] ont joué un rôle essentiel dans la montée des premières vagues de violence de la région. Luttes âpres pour le pouvoir, concentration des richesses, magouilles politiques et un credo trop partagé: “ l' ennemi de mon ennemi est mon ami “, tout cela doit vraiment être pris en compte si l'on veut poser la question complexe de la paix sans faire l'impasse sur notre passé violent. Car le passé est toujours actuel dans la région Sud, un passé peu enviable puisque la région passe pour être le berceau de la violence ou encore, la patrie des guérilleros, une réalité qu'on ne saurait nier. Ce qu'il faut par contre mettre en avant, c'est la volonté de construire la paix depuis l’intérieur qui caractérise le moment que nous sommes en train de vivre.
C'est quelque chose que l'on peut entendre dans les centaines de voix qui s’élèvent : paysans de minorités ethniques (Indiens, Afrodescendants), leaders de mouvements sociaux ou femmes qui vivent dans leur cellules familiales les retombées tardives d'un processus de paix en cours.
Pour commencer, il faut bien voir que des régions comme Ataco, Chaparral, Coyaima, Natagaima, Ortega, Planadas, Rioblanco, Roncesvalles jusqu'à San Antonio, souffrent, et à tous les niveaux, des conséquences du conflit armé, D'autre part, si l'histoire, en particulier la logique bipartidaire de l’époque, pèse sur la région et explique en partie l' l'éclatement actuel des communautés, elle nourrit aussi l'espoir de construire ce territoire de paix et d'harmonie que la terre de Macondo mérite vraiment de devenir.
Cependant, les habitants de ces villages ont fait un pari, qu’il est essentiel pour eux de porter ensemble : ils veulent s'inscrire dans un au-delà du conflit et lutter contre la stigmatisation politique et les représentations négatives du Tolima communes à la plupart des élites colombiennes. Une volonté qui apparaît clairement chez certains leaders de mouvements sociaux : “ Nous voulons la paix et la justice sociale”, “ nous ne reculerons pas d'un centimètre au nom de la paix “, “ nous sommes heureux d'aller vers la paix mais pour cela, il nous faut plus de conscience”, des témoignages parmi d'autres de ce que l'on peut entendre au quotidien dans les campagnes .
Enfin, les moments extrêmement incertains que nous sommes en train de vivre en Colombie nous invitent à imaginer des alternatives à partir du point de vue des régions ou des villages qui ont souffert le plus durement du conflit armé.
Ce serait un apport stratégique pour développer une réflexion sur les besoins des territoires et ne pas rester empêtrés dans les erreurs actuelles. Prenons un exemple : le Programme de Développement Territorial dresse la liste des communes qui vont recevoir des aides, au niveau social, économique, sous la forme de soutien à des projets ponctuels comme d'aide au développement rural, communautaire et organisationnel. Mais dans le Tolima, seuls Ataco, Chaparral, Planadas et Ríoblanco figurent sur la liste, soit un peu moins de la moitié des zones qui ont été victimes du conflit où y ont participé.
Un exemple de plus des contradictions qui sont les nôtres quand il s'agit de construire la paix à partir des régions
PS : La “nouvelle histoire” de l'Université du Tolima[2] est de plus en plus paradoxale. Que peut-on attendre d'un groupe d'évaluateurs/consultants qui ne savent pas où mener l'Alma Mater, quand le vrai problème, c'est l’argent ? Mais ça, c'est encore en chantier. L’université ne peut pas s'étendre à d'autres zones : comment pourrait-elle créer des succursales dans d'autres parties du pays alors qu’elle n'a même pas su maintenir son propre projet interne